En attendant je m’assieds sur un banc, parmi les autres syriens venus pour la même chose. Il y a des familles entières. Une jeune femme chrétienne, cheveux au vent, dont les deux enfants arborent, comme elle, une croix au bout d'une longue chaîne autour du cou. À côté, une fratrie musulmane, ils sont sept, de 6 à 18 ans, avec tous le même regard bleu et tranquille, le même air doux. Les quatre filles aînées sont voilées et habillées de longue robes ou manteaux. Tous attendent. Les plus jeunes s’impatientent, et se taquinent en silence, jeux de mains, petites tapes pour surprendre et ennuyer le plus proche, sourires en coin. Je demande : tous les membres de la famille doivent se présenter ? Oui. C’est obligatoire, même si seul le père passe au guichet, l’employé demande parfois : ta famille est là ? Et jette rapidement un œil distrait dans la cour. Cela ne manque pas d’arriver : un employé en uniforme apparaît dans l’embrasure de la porte de l’autre préfabriqué, avec un homme d’âge moyen, qui indique du bras sa progéniture sur les bancs, au premier rang, bien visible depuis la porte. La mère, assise, tient ses enfants par l’épaule, les enjoint discrètement à se tenir droit. Tous sont habillés très correctement (pour l’occasion ?), bien coiffés. L’apparence a l’air de jouer un rôle important puisqu‘on me dit que certains adultes sont refoulés s’ils arrivent en short et non en pantalon dans la chaleur de l’été. L’employé passe les enfants en revue quelques secondes, hoche de la tête, rentre à nouveau dans son bureau avant que le père n’en ressorte, et que la famille quitte les lieux l’air satisfait. Mon accompagnateur a fait vérifier tous ses papiers. A reçu un numéro. Il faut attendre. Mais surprise, on l’appelle bien plus tôt que ce que le numéro ne laissait supposer. Le candidat est tendu, il dit : « Tout peut encore être remis en question : chaque fois, je crois avoir tous les papiers requis et l’employé découvre un document manquant et me demande de revenir : la demande n’est pas recevable. » Quand on l’appelle il disparaît dans un préfabriqué, je l’aperçois s’assoir face à un employé, sortir un à un les documents. Il ressort assez vite, l’air soulagé, presque goguenard, et me souffle « victoire ! » avec un geste furtif de la main, avant de s’engouffrer dans un deuxième préfabriqué, que je devine être le guichet bancaire, en tous cas celui où les demandeurs s’acquittent des taxes, timbres fiscaux ou autres droits de séjour ou frais de dossier… Il prend place dans la file. Puis en ressort, se dirige enfin vers le troisième préfabriqué, d’où était apparu l’employé en uniforme, auquel j’accorde maintenant plus de pouvoir qu’aux autres. J’attends encore un peu. J’observe les va-et-vient des requérants et des employés entre les préfabriqués, selon un ordre que je ne comprends pas. Il y a aussi des femmes très assurées, en jean et le verbe haut, avec piles de dossiers sous le bras. Peut-être ce sont des avocates qui viennent défendre le dossier de certains réfugiés ? J’aimerais bien le croire. Au bout d’un moment, la personne que j’accompagne réapparaît, tenant fièrement un récépissé tamponné : la demande est en cours. Réponse dans 25 jours, ou dans 2 mois. Avant de recommencer l’année prochaine.
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AuteurLeyla-Claire Rabih est metteur en scène et traductrice. Formée à la mise en scène à Berlin, elle travaille en France et en Allemagne et axe son travail autour des écritures contemporaines. Elle dirige la compagnie Grenier/Neuf, installée à Dijon. De 2011 à 2018, elle co-dirige, avec Frank Weigand, « SCENE», anthologie de textes de langue française traduits en allemand. Depuis 2013, elle travaille autour de la Syrie et crée Chroniques d’une révolution orpheline, à partir de trois textes de Mohammad Al Attar. Archives
Octobre 2018
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